Devenir – Livre 3

Livre 3

Les enfants grandissent, les grands se déchirent et les prennent en otage comme il arrive souvent dans ces situations. Mais les temps se troublent et des alliances qu’on croyait impossibles se nouent pourtant.

Jusqu’à quand ?

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Livre 3 – Influences

Nous n’en avons pas terminé avec ce peuple ancien, mais il nous faut d’abord revenir, si vous le voulez bien, à l’époque du royaume Bleu. Tannebert prisonnier à vie, Naogzya bannie, la reine Svaliya écrasée par son secret. Restent les enfants qui grandissent et vont commencer à jouer un rôle en ce monde. Et puis bien sûr, Runigor, le magicien des Ruines, l’araignée au centre de cette toile.

Il tournait, rôdait, veillait, toujours épris de la reine. Elle était même le fil de sa si longue vie, qui sans elle eût été bien pesante. Et même si cette femme ne l’aimait pas, il espérait qu’un jour céderait son indifférence, qu’un jour s’effacerait sa méfiance. C’est pourquoi il n’entreprenait rien qui lui déplût vraiment, même si quelquefois, la tentation de la forcer le chatouillait. Cet amour était à la fois sa force et sa faiblesse.

Un jour, il manda Galardin, son œil et son oreille chez la reine.
— Quel âge a ce petit maintenant, l’enfant qu’a eu Svaliya ?
— Arnéïs ? Il a huit ans.
— Huit ans, bien, bien. Comment est-il ?
— C’est un joli garçon, sans plus. Il se montre néanmoins très curieux de tout. Il y a quelques jours, il a voulu tout savoir sur le corps humain. Il posait tant de questions, si précises et si pertinentes, que le docteur de la reine n’y suffisait pas. Il me semble cependant que la reine ne l’aime pas comme elle devrait et que ce petit en souffre. Elle le soumet à une discipline de fer en expliquant à qui veut l’entendre que c’est pour le préparer à être roi. Mais ce qu’on ragote, c’est qu’elle ne supporte pas de voir le rejeton de ce roi méprisable qui a fui à sa naissance. Et qu’elle se venge un peu de lui à travers son enfant.
— C’est possible, en effet. Mais quel dommage de punir ainsi un gamin qui n’y est pour rien ! Surtout s’il fait preuve d’autant de vivacité.
Le magicien se mit à marcher, ce qui l’aidait à réfléchir.
— Demain, je viendrai avec toi au palais. Je vais proposer un marché à la reine.

Le lendemain, les yeux de la reine ne laissaient planer aucun doute sur son humeur exécrable. Elle avait rêvé d’Elle cette nuit. La petite était très proche, mais elle n’arrivait pas à la toucher. Elle lui tournait le dos et jouait avec d’autres enfants sous le regard bienveillant d’une jeune fille. Elle l’appelait, mais elle ne répondait pas. Et puis à un moment, elle s’était retournée, avait aperçu sa mère et poussé un cri terrible comme quand on voit un revenant. Elle avait sauté dans les bras de cette fille qui l’avait consolée et emmenée dans une petite maison où il fallait entrer en se baissant.

Elle s’était assise sur le trône, signifiant par là qu’elle se tenait prête à traiter les affaires du jour. Conscient des nuages accumulés sur le visage de sa maîtresse, le ministre annonça toutefois les quelques nouvelles.
— Majesté, Arnéïs a fait une chute lorsque son cheval a refusé l’obstacle. Sans gravité, heureusement, mais si vous souhaitez passer le voir, il est alité chez sa nourrice.
— Ah. Il va falloir qu’il s’habitue à tomber et à se relever. La vie, c’est courage et volonté. Pourquoi se fait-il encore dorloter ? Qu’on le remette en selle. Ce soir, il aura réussi à sauter cet obstacle ou il ne mangera pas.
— Bien ma reine, je vais lui communiquer cette bonne nouvelle et tous vos vœux de prompt rétablissement. D’autre part, le magicien des Ruines demande une audience.
— Cesse ton insolence ou tu le regretteras. C’est moi qui décide. Que me veut encore cet importun ? Qu’il entre.

Runigor apparut et se fendit immédiatement d’une gracieuse révérence. Il avait revêtu un habit neutre et affichait un air modeste. Il remarqua du coin de l’œil la mine renfrognée de la souveraine.
— Merci de prendre le temps d’écouter ma requête, reine. Je ne vous dérangerai pas longtemps. Il m’est venu une idée qui m’a paru suffisamment intéressante pour que je vous l’expose. Votre fils, Arnéïs, en tant que futur roi de ce royaume, se doit de recevoir une éducation sans faille, qui forge l’âme et l’irrigue de connaissances, qui lui donne en idéal courage et abnégation. Je puis le faire devenir un homme qui ne se plaint pas, à la volonté duquel rien ne résiste. De surcroît, je pourrais lui apprendre la façon dont on commande à toute matière, les propriétés des éléments et des végétaux comme les langages humains et animaux. Permettez que je lui enseigne tous les après-midis, ici, au palais, pendant cinq jours. J’aurai ainsi une meilleure opinion de ses capacités et pourrai adapter mes leçons afin de lui inculquer les connaissances qui feront de lui un souverain à la hauteur.

Longue tirade, un tantinet alambiquée. Se mettre au service des autres et proposer de transmettre son savoir, voilà qui était pour le moins inhabituel de la part du magicien. Mais le malin visiteur avait eu soin de dire à la reine les mots qu’elle voulait entendre : volonté, éducation sans faille et courage insondable, la liste des qualités qu’elle jugeait incontournable pour survivre dans ce monde hostile. Et puis, si un jour Arnéïs devenait aussi érudit que son précepteur, il pourrait peut-être les délivrer du terrible sort que ce dernier avait jeté sur le royaume. Cette proposition entrait enfin en résonance avec un sentiment dont Svaliya n’avait pas conscience, pas encore et qui allait pourtant se retourner contre elle : il éloignerait Arnéïs de sa vue.

En son for intérieur, elle avait déjà accepté l’offre du magicien. Malgré tout, elle ne donna sa réponse positive que le lendemain, afin de sauvegarder les apparences d’une réflexion approfondie sur un sujet aussi sérieux.

Runigor commença donc son instruction. Mais vous vous doutez que son véritable but était ailleurs : il voulait apprivoiser le fils pour approcher la mère.

De ce jour, il s’efforça par tous les moyens de gagner la confiance et l’affection du jeune garçon. Il fut un maître attentionné, indulgent et sympathique. Il lui enseigna assez tôt des tours faciles qui en mettaient plein la vue. Il le plaignait, trouvait un intérêt palpitant aux petits bobos de son âme et se plaçait sans cesse dans le rôle d’un confident toujours d’accord avec lui. Il ne se montrait ni rigoureux ni exigeant avec le garçon, ce qui évitait toute critique et toute remontrance.

Appliquez cette stratégie sur un enfant de huit ans, ajoutez-y un fond de manque d’amour maternel, mélangez bien avec l’absence d’un père, saupoudrez d’une éducation inutilement sévère, et vous obtiendrez des merveilles. Arnéïs n’apprenait pas grand-chose, mais il se sentit bientôt si bien avec le magicien qu’il avait peine à partir le soir. Il réclama très vite de poursuivre cet enseignement, qui faisait figure de récréation au milieu du reste de sa journée.

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